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dimanche, 29 mai 2016

Du pléonasme

Comme un bouquet d’âneries

Je suis en réunion. Voilà qu’aujourd’hui, j’entends évoquer « l’équité entre tout le monde ». Il faudra créer un prix du pléonasme, ou reconnaître que le personnage du génial André Franquin, Gustave Labarbe, maire de Champignac, avec ses discours insupportables, creux et prétentieux, est décidément devenu le modèle des Français.

Mais ce n’est pas fini, cela va si vite que je ne puis noter.

« J’anticipe sur la suite » (ça devrait donc s’achever plus vite, non, même pas).

« On va accélérer rapidement » (il est urgent d’implanter des radars linguistiques et d’instaurer le permis de parler à points).

« C’est une question récurrente qui revient » (c’est même le retour d’une récurrence revenante, me semble-t-il).

« L’ordre de grandeur, c’est aux alentours de » (enfin, en gros, à la louche, au pifomètre, c’est aux environs d’à peu près ça).

« On va tester dans une période expérimentale » (histoire de mettre à l’essai afin d’expérimenter en essayant, sûrement).

*

Je me rappelle avoir lu dans une biographie : « Une représentation annuelle de [telle œuvre] est organisée chaque année » ; dans un roman policier : « Il aperçut X qui patientait en attendant son tour » ; dans un commentaire lu sur Internet : « le dénouement final ». Comment les bras ne m’en tomberaient-ils pas ?

C’est chez Roger Grenier (célébrant l’excellent Pascal Pia !) que j’ai trouvé ce délice absolu : « En tête-à-tête avec un seul interlocuteur ». Admirable, non ? « Cocuage linguistique ! », aurait hurlé le poète Maxime Alexandre, de qui j’aime cette expression que je me plais à citer. Puisqu’il ne peut plus le faire, je crie pour lui.

*

Je me rappelle aussi avoir entendu et j’entends encore, quotidiennement parfois : « Des assiettes empilées les unes sur les autres » (des fois qu’on les empile côte à côte) ou : « Il vaut mieux prévoir à l’avance », ce qui est mieux que prévoir après coup. Je viens d’entendre « une mention générique commune à », des fois que la mention soit générique pour elle-même et elle seule…

Dans le commentaire d’un lecteur du Monde.fr, je trouve « le maintien du statu quo », ce qui est remarquable. Pour être sûr d’être bien compris, ce monsieur aurait dû écrire : « Le maintien immobile, sans mouvement, d’un statu quo stable et sans changement, qui ne bouge pas et reste tranquille, afin de, sans frémir, demeurer statique ».

*

Mais voici qu’une nouvelle réunion m’occupe, ou plutôt m’ennuie. Le tourbillon reprend, ma plume court aussi vite qu’elle peut, mais les tournures pléonastiques sont si nombreuses que la pauvre manque s’essouffler.

« La conclusion qui s’imposait à la suite de ça » (fort heureusement, elle ne s’est pas imposée préalablement car commencer par conclure ne serait pas aller bien loin).

« Il n’empêche, quand même » (et en dépit de cela, aussi ?).

« Moi, personnellement ».

« Des solutions qui anticipent l’avenir » (effectivement, par les temps qui courent, anticiper le passé pourrait être très dangereux).

« Est-ce qu’on vote successivement d’abord sur » (oui, et même en premier, avant le deuxième point qui viendra à la suite et se présentera après).

« Le futur est toujours plus incertain que le passé » (ah non, ce n’est pas vrai, il n’a pas osé ? Mais si, mais si).

« Je ne sais pas quoi ajouter de plus » (eh bien, ajoute en moins et tais-toi, abruti).

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Quelques jours plus tard, une réunion, une de plus, me permet de prendre note de ceci : « Donnez-nous un peu de nerf de la guerre pour mieux lubrifier le système ». Quelle merveille ! Je sais, le contexte permet de comprendre ce que veut dire le locuteur. Il rapporte avoir demandé des crédits supplémentaires qui lui permettraient de réaliser telle chose. Oui, oui… Mais un nerf qui lubrifie, vraiment… Un morceau de viande plein de nerfs est réputé dur, immangeable, coriace, très mauvais, tout sauf fluide. Une telle image devrait faire frémir le plus mauvais boucher.

Le même locuteur récidive, parlant de « donner des pistes d’éclairage ». Je comprends « donner des pistes », j’entends « apporter un éclairage », mais le mélange des deux me paraît indigeste. Le même homme s’était déjà rendu coupable de reporting. Toutes ces personnes qui ne demandent qu’à faire du reporting quand elles rougiraient de devoir rédiger un compte rendu !

*

J’ai toujours été très étonné d’entendre la plupart des gens utiliser n’importe quel terme pour signifier n’importe quoi. Je ne le leur fais même plus remarquer – c’est trop lassant –, pour ne plus m’entendre répondre : « C’est pareil », car je devrais alors expliquer que, justement, ce n’est pas pareil. Quelquefois, malgré tout, je me laisse aller à de sévères mises au point pleines de causticité. Mais bah, autant vouloir faire comprendre qu’un sobriquet n’est pas nécessairement un tison sans intelligence.

Le « déroulé » a remplacé le déroulement, cas amusant où un adjectif a pris valeur de substantif. Tout cela pour parler d’un simple fil conducteur, quel gaspillage d’énergie !

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Le mot « responsable » aurait-il mauvaise presse ? On comprendrait mieux alors cette tendance généralisée à la démission, à l’absence d’idées et de prises de position qu’on connaît aujourd’hui. Le « porteur » de projet se sent-il réellement responsable des initiatives qu’il est appelé à prendre et de leurs éventuelles conséquences ? Tous ces responsables sont devenus des « porteurs », terme qui les aurait mis en colère s’il leur avait été appliqué lorsqu’il désignait les portefaix exerçant leur métier sur les quais de gare. Le mépris a cessé, c’est une bonne chose, mais cet apaisement est surtout dû à la disparition des porteurs eux-mêmes. À ceux qui, pour un pauvre salaire, portaient les valises des autres, ont succédé des responsables de projet qui ont davantage de bagage.

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Dans un article consacré à un cinéaste et à son plus célèbre film, je relève : « le papier peint recouvrant les murs ». Il fallait bien faire comprendre, sans doute, que ce n’était pas celui qui recouvrait les fenêtres.

Je n’avais pas fini d’écrire ce qui précède quand j’entendis : « Il coexiste en même temps les deux adresses ». En huit mots à peine, pléonasme et syntaxe chahutée me donnèrent un sentiment de pénible découragement qu’une pluie de septembre se chargea d’accentuer.

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Le dernier jour de mon activité salariée, alors que je prenais ma retraite le soir même, je lus, dans le corps d’un message : « Une nouvelle politique tarifaire unique pour tous ». Je fus immédiatement rassuré, soulagé : si la politique en question (pourquoi ne pas dire tout bêtement « un nouveau tarif » ?) s’était montrée unique pour certains seulement, que se serait-il produit ? On eût crié à la discrimination.

Afin de rire jusqu’au bout, il faut préciser que cette tournure alambiquée concernait une chose très importante : le prix du gobelet de café au distributeur.

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Le commerce n’est jamais en reste. Dès qu’il est question de faire une bourde, les boutiquiers sont là (tiens, cela sonne comme un chant folklorique). Dans telle collection de livres-disques vendue en kiosques, on peut lire un avertissement : « Chaque volume est constitué d’un CD et d’un livret indissociables ne pouvant être vendus séparément ». Peut-être aurait-on dû ajouter, car il faut toujours s’assurer de la bonne intelligence qu’on peut avoir d’un propos : « On ne peut les acheter qu’ensemble et pas à part, ni l’un sans l’autre, car ils sont commercialisés en une seule fois, ce qui ne permet pas de les détailler. Il faut donc les acquérir conjointement, car l’isolement de l’un ou de l’autre ne s’avère pas réalisable ».

Sur un marché, en Quercy, à l’approche de la fin de l’année, un tract d’artisan charcutier vante quelques nourritures et indique : « Pour être mieux servi, commandez à l’avance ». Il est certain que, si l’on venait à commander après coup, on ne serait guère satisfait du service.

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France-Musique, décembre 2013. J’allume le poste de radio et entends : « On continue à perdurer ». J’éteins immédiatement.

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Un éditeur français publie en 2013 un album dont la quatrième de couverture annonce : « Des histoires différentes les unes des autres ». Il devait être trop simple d’écrire « des histoires différentes ».

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Je lis sur Internet, en mai 2014, l’avis qu’une personne exprime à propos d’un album de bande dessinée. Ce lecteur achève son commentaire en parlant de « la chute finale en fin de récit ». Je le félicite ici vivement, il mérite un prix. Trois fois la même chose ! On est rarement allé si loin.

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Je ne dois pas oublier, néanmoins, de citer tel écrivain célèbre, directeur littéraire réputé, romancier à succès, poète par surcroît, qui, dans des mémoires posthumes parfaitement indigestes de par leur superficialité et l’ennuyeux enchaînement d’anecdotes qu’on y peut malheureusement découvrir, centaines de pages où l’anacoluthe pousse comme chiendent, évoque telle nécrologie « préparée d’avance », ce qui est incontestablement plus utile que si elle avait été préparée ensuite.

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« Le suspense monte crescendo », indique tel programme de télévision, au mois de novembre 2014. On est content de l’apprendre. S’il était monté decrescendo, le spectateur eût été tout retourné.

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Du dialogue d’un téléfilm pourtant honnête, bien qu’invraisemblable, cette perle extraite : « parachuté d’en haut ». De quoi s’y perdre, n’est-ce pas ?

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Pour conclure une critique d’un album de bande dessinée, on affirme que « cette aventure se poursuivra et se finalisera dans le prochain tome 6 à venir ». Dire que l’aventure s’achèvera dut paraître impossible à l’auteur de l’article ; il préféra à cette formule trop simple, trop vieille certainement, « se finalisera », manie de langage qui finira par me faire rugir. Le comble, cependant, est « le prochain tome 6 à venir ». Prochain, tout court, devait être trop mesquin et l’auteur se rendit coupable d’un « prochain » dont il dut expliquer qu’il était « à venir », ce que nous n’aurions évidemment pas compris sans cette précision.

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Un commentaire d’article, sur Internet, prophétise avec entrain : « Elle s’auto-détruira d’elle-même ». Fameux ! Et puis au moins, comme ça, on est certain du résultat. Il vaut mieux ne se fier à personne, de nos jours. Confier à un tiers le soin de nous auto-détruire eût été aventureux. Mieux vaut, on ne le contestera pas, s’auto-détruire soi-même.

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Tel témoignage, très intéressant et sensible, c’est vrai, parut aux éditions de Fallois, agrémenté d’un texte de quatrième de couverture s’achevant sur cette phrase : « Et c’est un témoignage inoubliable, qui reste longtemps dans la mémoire ». De quoi s’esclaffer ou bien, au choix, grincer des dents. Quel directeur littéraire d’occasion, quel responsable entérina-t-il une sottise aussi exemplaire ?

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Sur le site d’un éditeur et à propos d’un sympathique écrivain portant habituellement chapeau, on peut lire : « Toujours accompagné de son fameux couvre-chef dont il ne se sépare pas ». Qui a pu proférer une telle imbécillité ? À qui faut-il faire porter le chapeau ?

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France-Culture, février 2016. Dans ma voiture, j’allume le poste de radio pour entendre, avec stupéfaction : « En interaction les uns avec les autres ».

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L’auteur n’est pas plus fort que les autres

Pour ne pas lasser le lecteur le plus complaisant, ce chapitre n’ira pas plus loin, en dépit de la constante présence du pléonasme dans l’expression contemporaine. Cependant, il faut le reconnaître, personne n’est à l’abri de rien et je me suis surpris proférant « le but final », par opposition, certainement, au but inaugural. Au moins ai-je rougi et me suis-je immédiatement puni d’une gifle morale, c’était bien le moins que je me devais. J’en porte encore la marque.

19:36 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (2)

mardi, 24 mai 2016

Vincent du soleil

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À Arles, trente-et-un tableaux de van Gogh sont exposés à la fondation. Magnifique. Hormis l’œuvre admirable vue à Avignon récemment,* je n’avais jamais été en présence de vrais van Gogh. Extraordinaire. Comme les cartes postales, vendues à la boutique, étaient minables, ensuite ! On sait bien que la qualité des reproductions, souvent, n’est pas ce qu’elle pourrait être, mais là, c’était flagrant : nous venions de voir les originaux. Les tableaux n’étaient pas accrochés à des cimaises, mais doublement boulonnés au mur et, certainement, une alarme était-elle dissimulée derrière chacun d’entre eux. Peu importe. De plus, les toiles, bien qu’encadrées, étaient sous verre, ce n’était pas l’idéal, mais enfin… Un groupe d’enfants de l’école primaire visitait l’exposition avec leur institutrice et trois accompagnatrices. Je me disais que les enfants, aujourd’hui, ont bien de la chance. J’aurai vu mes premiers van Gogh à près de soixante-quatre ans ; eux, très tôt. Tant mieux.

* Il s’agit de la collection Jacques-Doucet, conservée au musée Angladon. De superbes œuvres présentées dans un bâtiment magnifique. Un Van Gogh, un Sisley, un Degas, un Modigliani, six Picasso… entre autres.

19:16 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (0)