mercredi, 16 janvier 2013
Un faux Baudelaire
Je possède un exemplaire du pastiche de Baudelaire, À une courtisane, que Pascal Pia publia et préfaça en 1925, avec les huit eaux fortes originales de Pierre Creixams. Il est relié cuir bleu-nuit et papier, titres dorés, les couvertures conservées. Lorsque mon ancien beau-père, qui l’avait acquis en 1976, me l’offrit en 1979, je ne pense pas qu’il savait de quoi il s’agissait. Moi-même, en tout cas, ignorant tout de ce faux, que Gallimard avait admis dans le premier Baudelaire de la collection « La Pléiade », j’étais allé vérifier, dans Les Fleurs du mal : le texte n’y figurait pas, évidemment, et j’avais imaginé qu’il s’agissait vraiment d’une œuvre libre, comme on disait autrefois, parfaitement indépendante du recueil sublime que des imbéciles condamnèrent en 1857. Lorsque, en 2012, j’ai commencé à m’intéresser de près aux travaux de Pia – au vrai, j’avais lu, quelque vingt ans plus tôt, son Apollinaire, comme j’avais apprécié les souvenirs de Nadeau à son sujet –, j’ai connu cette histoire, j’ai brusquement réalisé que je possédais ce texte depuis longtemps. Le cuir du dos a été partiellement usé par le temps : il est comme rongé par endroits, alors que j’ai reçu l’exemplaire en très bon état et que je ne l’ai jamais abîmé moi-même.
Je suis ahuri de constater, au lu des notices présentes sur Internet, que certains libraires d’anciens proposent aujourd’hui encore ce livre comme un inédit de Baudelaire. Pas tous, certes, mais cela arrive. Lorsque Pia commit ce faux, il était âgé de vingt-deux ans à peine. Dans son introduction qu’avec culot il intitula Notes en marge d'un poème, il avançait que le poème s’était retrouvé chez un viticulteur de l’Hérault, où il avait pu en prendre copie.
Un des exemplaires en vente à l’heure où j’écris, le n° 257, porte cette dédicace admirable de Pia : « À Robert Chatté, son ami Charles Baudelaire – ou plus modestement P. P. ». Robert Chatté, libraire à Montmartre, était spécialisé dans les livres érotiques. Il avait une clientèle d’initiés et demandait, pour leur ouvrir, qu’ils fissent un signal précis. Il fut l’éditeur de Bataille, en 1941. Chatté donna plus tard le volume à M. A. Drouet, et se fendit à l’occasion de cet excellent ex-dono : « Toujours de la part de Baudelaire, empêché. R. C. ». Ironique et superbe, Pia se permettra plus tard d’écrire, dans sa somme bibliographique Les Livres de l’enfer : « Quoique ce pastiche de Baudelaire (...) ne soit pas des plus réussis, quelques exégètes du poète des Fleurs du mal l’ont pris au sérieux. Nous n’aurons pas la cruauté de les nommer ».
10:46 Publié dans Pascal Pia | Lien permanent | Commentaires (0)
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