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samedi, 14 juin 2008

La goutte de Giono

Les recueils toujours les moins intéressants sont ceux qui regroupent une correspondance familiale. Celle de Giono, par exemple, publiée sous le beau titre J’ai ce que j’ai donné, n’a presque aucun intérêt si l’on ne désire pas lire (en tout cas pas durant plus de deux-cents pages) ce que l’auteur a mangé, quand il a eu une crise de goutte ou mal aux dents, combien il a versé à la banque ou touché pour tel article. Ce n’est vraiment pas lisible, quelque amitié qu’on ait pour l’auteur, quelque goût qu’on puisse avoir pour les chroniques intimes. Les éditeurs vendent ces livres sur le nom de l’écrivain qui, on le lui reconnaît volontiers, n’avait pas rédigé ces missives dans un but de publication. Les nouvelles qu’il donne de sa santé ou du temps qu’il fait à Manosque – dans un style d’ailleurs particulièrement plat – intéressaient très certainement et très légitimement son épouse et ses filles (la quasi totalité du volume est faite de lettres à elles adressées) mais ne sauraient nous retenir aujourd’hui. On note que même le voyage qu’il effectue en Angleterre et en Écosse ne lui inspire qu’une série de banalités un peu redondantes. Giono, certainement, réservait son génie à ses livres et ne jugeait pas utile d’en faire don et grâce aux siens. Sa tendresse est souvent mièvre. Demeure donc un recueil très anecdotique qui ne vaut que par l’attachement sentimental qu’on peut avoir pour une grande plume et l’on sourit miséricordieusement de la voir se traîner dans les eaux familières d’une expression plus que commune.

jeudi, 12 juin 2008

Je ne sais pas où est Rungis

Saura-t-on jamais réellement comment naissent les livres ? Non sur le papier, au bout des chemins inquiétants, dans les pierriers du travail obstiné, mais dans la tête des auteurs ? Je dirai quelque jour en détail le cheminement qui aboutit à ma vie d’Albertine Sarrazin ou à ma vie et œuvre de Ian Fleming, entre autres. Que se passe-t-il pour que surgissent à la cinquantaine et bien au-delà des livres fondés sur des lectures faites des décennies plus tôt ? Pourquoi ces lectures donnent-elles naissance à des travaux quand d’autres ne le font pas ? Quel peut donc être le curieux fonctionnement de nos engouements pour les découvertes d’autrefois ? Pourquoi certaines réminiscences ou redécouvertes donnent-elles la clef de livres complets quand d’autres n’aboutissent qu’à des textes de quelques pages (mon Guimard, mon Vailland) ? Comment certaines joies nouvelles n’autorisent-elles qu’un commentaire réduit (mon Bourdouxhe) ou moyennement long (mon Pons) ? Je ne sais pas pourquoi certaines œuvres, elles, suscitent des travaux sans fin (mes cinq Ferré, trois parus, deux en chantier – pour ne parler que des livres parmi tout ce que je lui ai consacré). Je ne sais pas grand-chose du mystère de la création, quand je me frotte à lui pratiquement depuis toujours. Je ne saurais dire si c’est décourageant ou non puisque, le plus souvent, j’accepte sans discuter cet état de choses. Mais lorsque j’y pense réellement, cela m’intrigue. Alors, je prends quelques notes comme ici mais, bien vite, je tourne en rond. Sans doute ne saurai-je jamais rien de tout cela. Et puis, quelle dépense d’énergie que d’y réfléchir trop longtemps ! Il y a mieux à faire – par exemple, écrire des livres. Je suis né pour cela, c’est ce que je fais le moins mal et, de toute façon, cela me permet de respirer et de sortir mes pieds minables du peu héroïque mal de vivre dans lequel ils s’enfoncent en dépit de mes tentatives désespérées pour avancer. Je suis un arbre à livres, rien n’y fera jamais, je donne des fruits non traités, non calibrés, becquetés par les oiseaux, véreux parfois – mais ce sont des fruits libres. Pas des fruits collabos, prêts à sacrifier l’authenticité à l’apparence, jusqu’à paraître lustrés et peut-être en plastique.

Si je devais rédiger des ouvrages dans chacun des domaines qui m’intéressent, en admettant que j’en sois capable, il me faudrait plusieurs vies et une santé d’airain. Cela ajoute une interrogation au boisseau des précédentes. Pourquoi, dans ces conditions, ai-je été amené à composer sur tel sujet plutôt que sur tel autre ? Je suis incapable de répondre à cette question qui n’est cependant pas sans importance. Est-ce parce que, dans sa prudence, l’inconscient fait le tri et, connaissant la brièveté de tout, impose les recherches les plus immédiatement nécessaires, les plus authentiquement proches, reliées à notre essence même ? Je l’ignore mais il doit y avoir de cela, cependant. Pourtant, en posant ainsi le problème, j’écarte d’emblée la solution la plus simple, celle qui consiste à dire qu’on met en chantier ce que nous imposent les circonstances : si telle recherche indispensable à un travail m’est à un moment donné impossible, je n’effectuerai pas cette besogne ou bien, je modifierai le projet, le redessinerai, en ferai quelque chose d’autre afin de contourner l’obstacle. Je crois néanmoins que les réponses simples le sont trop. Les circonstances, si elles font le dessin du présent, n’exécutent en revanche aucun dessein. Elles n’ont d’importance que factuelle et, oserai-je l’écrire, circonstancielle. Plus sérieusement, il doit y avoir un faisceau de causes « faisant que », comme il est certainement une raison pour que je cherche ici ces réponses impossibles quand approche minuit et qu’il est, là aussi, autre chose à faire.

À tout cela s’ajoute cette interrogation : qu’aurais-je donné à lire si j’avais pu disposer de ma vie complète, sans avoir à la gagner (ce qui, comme chacun sait, aboutit à la perdre) ? Aurais-je fait davantage de livres ? N’en aurais-je écrit que peu, mais bien plus forts ? Je ne le saurai jamais. Serais-je allé plus vite pour les mener à bien ? Auraient-ils été publiés plus tôt ? Il ne convient pas de remuer le destin a posteriori ; mieux vaut le laisser dormir, même s’il parle en dormant et par là nous dérange. À dix-sept ans, à vingt-et-un ans, j’écrivais beaucoup et très vite, vraiment très vite : tout était mauvais, exécrable quelquefois. Cette étape était sans doute indispensable, mais je ne sais pas plus aujourd’hui le pourquoi du travail d’écriture, la raison du « déclic », la manœuvre de quel interrupteur pour allumer quelle lampe. Il est curieux de devoir admettre que notre action est étayée par l’ignorance. Dans n’importe quel domaine de l’activité des hommes, on s’appuie, pour agir, sur la connaissance, l’étude. S’agissant du travail littéraire, on avance à l’aveugle, pétri d’une certitude unique, celle de ne pas comprendre grand-chose à ce qui nous meut. Quelle autre machine fonctionnerait sans qu’on connaisse sa source d’énergie, sans qu’on sache comment l’approvisionner en un carburant quelconque ? Le pire est que cet exercice de funambule a su aboutir à quelques chefs-d’œuvre qui réjouiront l’humanité dans de nombreux siècles encore.

Je vends aux autres ce que je mange moi-même, ce dont quotidiennement je me nourris. Je ne garde pas pour moi, dans ma cave, mon meilleur vin. Je ne fais pas de livres des halles mais des ouvrages de petit producteur. Je ne sais pas où est Rungis.

mardi, 03 juin 2008

Salut à Dominique Autié

Dominique Autié m’avait confié il y a quelque temps qu’il était malade. Je lui ai fait les meilleurs souhaits puis, les semaines passant, je n’ai plus osé lui demander de ses nouvelles et lui-même n’y a plus fait allusion. Quoique moins régulièrement, il publiait toujours des notes sur son blog et j’y voyais – je voulais y voir – un signe d’amélioration ou, à tout le moins, d’état stationnaire.

J’ai eu moi-même des problèmes de santé et, pris par des travaux nombreux, je manque singulièrement de temps. Ainsi, je n’ai appris qu’aujourd’hui le décès, survenu le 27 mai dernier, de notre ami.

Dominique Autié était le contraire d’un matérialiste : j’espère que sa foi l’aura soutenu au cours d’une maladie tuant avec une rapidité qui, chaque fois, me laisse pantois. Le pire, c’est la destruction de l’être, qui précède le décès. Mon père est mort de la même chose, un peu moins rapidement c’est vrai, il y a quinze ans de cela.

Dominique Autié avait cinquante-neuf ans et il aimait les livres.

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